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                  L´Orange amère 
     

    Petite, toute petite, ronde comme une orange,
    les bras ballants, inutiles, lourds comme des prothèses fatiguées.
    Elle est au milieu du groupe et tourne et vire, cherche un regard,
    un moment pour dire un mot, une phrase peut-être.
    Elle lève une main, s'avance un peu, mais c'est trop tard,
    l'espace était si étroit...


    Chacun prépare son sac, papote.
    Son sac est prêt depuis longtemps,
    tout est organisé, rangé pour ne pas perdre de temps
    et risquer de manquer le moment où un fil tenu
    pourra se créer avec le groupe,
    mais le groupe parle de ses histoires de groupe,
    des trajectoires personnelles, des enfants, de la vie, de la mort.

    Elle n'a pas d'histoires de groupe,
    sa trajectoire personnelle est une longue ligne d'indifférence
     polie,
    elle n'a pas d'enfants,
    sa vie est d'une tristesse infinie,
    mais elle espère tout de l'avenir et de la mort.

    Ce matin finalement, elle ne dira rien,
    c'est tout juste si on n'aura pas oublié de l'oublier.

    Petite, toute petite, ronde comme une orange.

     


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    Ushuaia

    Une famille Yaghan ou Ona

                Ushuaia

      

    La ville a des hoquets de couleur,
    le jaune des boutons d'or en émoi,
    le bleu profond des séracs en fleur,
    le marron obsédant des vieux bois de façade
    qui gémissent sous les échardes du vent.
     
    La ville dévide ses logorrhées de voitures insipides
    qui se croisent avec des feulements guerriers,
    elle brasse, dans sa casserole polaire
    des foules  aux mille visages, aux mille et une langues
    qui forment un grésillement voluptueux,  une caresse légère.
     
    Elle a eu raison des Yaghan et Ona, eux qui bravaient, nus,
    la lèpre du froid et les blessures des bourrasques assassines. 
    Ils ont fait face,  la peau enduite du velours translucide
    de la graisse des guanacos, 
    face aux missionnaires engoncés dans la vase de leurs certitudes,
    au chancre violet des maladies,
    aux terreurs enfantines des derniers aventuriers,
    face à la désespérance de leur vie.
     
    Ils ont fait face et ils sont morts.
    La ville aura raison des bacilles gris métallisés 
    qui foncent dans ses artères
    en lâchant des flatulences d'oxyde de carbone,
    car la ville est forte des embrassades au goût de mojito
    du canal de Beagle,
    forte du chaos cristallin des Cerros anarchistes,
    forte de l'engloutissement rougeoyant du temps.
     

    Ushuaia

     

     

     

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

    Ushuaia

      Ushuaia

      

        

      

      

      

      

      

      

      


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  • Le ciel de Patagonie

                       

                     Le ciel de Patagonie

     

    Le ciel de Patagonie se laisse découper par le vent;
     
    Des filets de bleu, couleur de myrtille
    se faufilent dans les coups de grisou des nuages,
    des nuages décidés qui filent vers l'est
    dans le confort suranné d'un transsibérien de fin du monde,
    des nuages lourds de tant de massacres et de beauté gracile,
    des nuages qui refusent de s'évaporer dans la marelle du ciel
    mais qui s'agglutinent en une grappe d'azuleros suicidaires.
     
    Le ciel de Patagonie se laisse découper par le vent
    mais la virginité de sa transparence
    infuse mes yeux et mon ventre de bouffées délirantes.
     
    Le ciel de Patagonie est un opium sauvage.
      

     


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    Valparaiso
     
                               Valparaiso
      
    Valparaiso, j'aime tes ascenseurs
    qui partent en croisade avec deux cahutes en tôle,
    qui vont et qui viennent sur des rails d'acier 
    pour délivrer des rêves de grandeur flottants dans l'air du temps, 
    comme des galions chargés d'or.
     
    Valparaiso
     
    Valparaiso, j'aime tes ruelles folles
    qui griffent les Cerros voluptueux et gémissent de plaisir
    quand, des portes couleur de miel,
    suintent des fragrances épicées d'empanadas.
      
     
    Valparaiso
     
    J'aime le bataillon de cent mille marches de tes escaliers boiteux 
    qui enserrent le vide et dévoilent un à un les détours perdus
    de tes niches de Lapis-lazuli ouvertes sur le port comme un écrin timide.
    J'aime ton port et tes navires 
    qui tuent le temps en rêvant à de secrètes conquêtes 
    dans les vapeurs d'alcool et les bas rapiécés de filles perdues.
     
    Valparaiso, j'aime les touches impressionnistes
    des pauvres tôles d'acier qui protègent l'adobe apeuré
    des vieux murs contre les poussières de pluie.
    J'aime les fresques qui étalent leur fleur sur le béton transfiguré 
    et accrochent le regard des passants.
    J'aime les fresques qui se meurent doucement
    sous le lichen des graffitis.
     
     
    Valparaiso
     
    Valparaiso, j'aime les étals hallucinés du marché Rodoviario 
    qui tricotent des parfums d'orange et de fraise, 
    insensibles aux averses de lumière.
     
    J'aime tes trolleybus qui couinent avec plaisir, 
    dépassés par le coulis vermeil des vieux bus cherchant le client
    comme les belles du port, 
    en crachant de mortels nuages noirs.
     
    Valparaiso, j'aime la fraîche dentelle
    qui glisse sur les lèvres des femmes 
    quand le sourire gracile s'éteint avec le soir.
     
    J'aime l'eau pétillante des rires qui vont de porte en porte 
    détacher l'ivresse des cauchemars.
     
    Valparaiso, mère nourricière,
    louve éclatante aux multiples mamelles 
    où les chiens errants viennent téter les nuages.
     
    Valparaiso, ultime rempart de la beauté
    avant l'arrêt grisaille des colporteurs 
    des mille tours sans vie et de la brise glacée de l'indifférence;
     
    Valparaiso, dernier diamant sur la route de la soie.
     
    Valparaiso
     
     

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